dans le feu

J’ai enfin compris qu’il y a dans l’épaisseur de nos fibres des incandescences obscures.

Je l’ai compris je crois dans le désert de Brouq entre les stèles sombres qui se fondaient dans la nuit. Ou quatre idoles immenses qui te saluaient je ne sais plus très bien, un vent montait comme la nuit.

Elles étaient apparues au loin interférences sur le sable, on a lentement glissé pour les rejoindre.

Je t’ai enfin compris toi aussi dans ces espaces où tu te voiles sans cesse pour mieux te répandre, on y préfère ton reflet nocturne sur le sable.

Ils ont eu en partage ce qu’il y a de plus beau.

Et j’ai compris que tu es matière comme moi, que toute matière rayonne effusive.

À l’index anneau d’or tout simple, il a pourtant l’orgueil de te ressembler, il joue avec ton feu. Le feu est l’ultra-vivant. Le feu est intime et il est universel. Il vit dans notre cœur. Il vit dans le ciel. Il monte des profondeurs de la substance et s’offre comme un amour. Il redescend dans la matière et se cache, latent, contenu comme la haine et la vengeance. Comme le désir ou l’angoisse.

Tu touchais l’horizon et les quatre stèles s’enflammaient rugueuses, rouillées, pures d’une pureté réelle, pureté impure et mélangée d’altérité. (Je n’aime que les dieux impurs imbibés d’ichor qui les brûle, ceux qui marchent le plus loin dans la nuit avec leurs yeux tout noirs.)

Tu te diluais dans l’horizon, elles faisaient vibrer ta lumière dans la vallée, elles étaient là pour toi ou pour scander le paysage, allaient bien sûr disparaître avec toi.

On allait de l’une à une à l’autre comme deux yeux noirs.

Aigle purphóros comme toujours je te regardais de face.

Le couteau à la main je venais moi-même en feu, je brûlait, je me suis souvenu depuis que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. (En moi – tout est incendie ! Tout tombe comme une peau, et sous la peau il y a la chair à vif ou le feu.) On ausculte les violentes consumations mais on pense moins à nos petites irrigations de feu pulsatiles, sémaphores, douces voraces.

Je me demande si elles luisent endiguées bien sagement dans le noir de nos fibres.

Je me demande aussi si le sable n’est pas une cendre. Sans doute le feu s’est-il retiré, l’incendie maîtrisé, mais s’il y a là cendre, c’est que du feu reste en retrait. Je me demande si je le verrai d’un coup laper le ciel.

Ils disaient qu’un cercle petit ou grand est un cercle. Mais s’il est en cendres ?

On sous-estime les déserts et leur puissance douce impérieuse de dissolution, les noyades n’en sont que de faibles images. On oublie que le soleil tremble sur la nuit et qu’on pourrait se répandre en cendres dans le désert, c’est toujours comme ça qu’on a nourri les dieux.

Ce serait la joie ou le repos d’une euthymie, partir où l’on veut en fumée.

Mais il faut pour cela venir dans les déserts soi-même inflammé d’une sorte d’irritation du vivre qui écorche continûment, expose, intensifie aussi, calmer le feu par le feu, sentir le feu par le feu, vivre dans le feu.

Comme c’est bien de vivre dans le feu !

Tu sais qu’il y des trous blancs et des galaxies noires, toujours quelques volatiles chthoniens et flous comme moi.

Il y a toujours un moment où toutes choses deviennent feu comme toi.

Hérodote, Histoires, III. Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu, 1938. Vladimir Jankélévitch, Le pur et l’impur, 1960. Aristophane, Les oiseaux. Georges Didi-Huberman, Brouillards de peines et de désirs, 2023. Herbert J. Freudenberger, « Staff burnout », 1974. Marina Tsvétaïeva, Vivre dans le feu. Confessions [1908-1941], 2008. Jacques Derrida, Feu la cendre, 1987. Sénèque, Lettres à Lucilius, 74, 27. Marielle Macé, Respire, 2023. Marina Tsvétaïeva, Vivre dans le feu, op. cit. Marcel Detienne, Apollon le couteau à la main, 1998 ; Les jardins d’Adonis, 1972. Héraclite cité par Aristote, Métaphysique, K.

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