cyborgs
Je suis parti en week-end et quand je suis rentré, j’ai trouvé chez moi des emmêlements inouïs.
Des nourritures nouvelles, spirituelles, cyborgs, des intrications comme si fibres optiques et carpiques avaient oublié leurs différences. Comme si les aliments électroniques avaient enfin l’âge de rejoindre leurs aînés sur la table des symboles de l’abondance.
C’est peut-être moi qui avant de partir les ai préparés comme ça… pour simplifier mes repas. Mettre l’écran à la bouche, taper sur l’ananas, le fromage qui devient souris. Ça faisait longtemps que je mangeais devant mon ordinateur, sans plus vraiment faire attention à distinguer la fourchette du clavier. J’ai peut-être compris que je me nourrissais autant d’internet que de glucose. Nourritures technologiques, sociales, imaginaires, érotiques, qui ont façonné mon corps, configuré mes neurones, mes sens, fortifiantes, intoxicantes. Je mange donc je suis, je me branche donc je suis.
Une nuit, j’ai rêvé que j’avais des applications au bout des doigts.
J’en ai fait des natures mortes... natures… des hybrides nature-culture morts ? Still tech-lifes ? J’ai essayé d’arrêter leurs mouvements pour les sauver de la pourriture, sinon de l’obsolescence, et j’ai pensé que ça pouvait, peut-être, me sauver un instant moi aussi… (Notre destin n’est pas effrayant parce qu’il est irréel ; il est effrayant parce qu’il est irréversible, parce qu’il est de fer.)
Et puis, sinon, qui m’aurait cru ?
Digestion lourde, fourmillante, irisée par moments. Je pensais qu’en mâchant tout on pourrait continuer silencieusement, consciencieusement comme avant. Avec quelques lueurs entre les dents.
Il y avait pourtant un modèle digestif de l’inspiration (l’originalité, affaire d’estomac). Comme une herméneutique des entrailles. Ç’aurait pu être utile.
Mais... fatigue…
Jorge Luis Borges, Nouvelle réfutation du temps, 1944. Paul Valéry, Tel quel, 1941